La Diplégie, le Virus et la Pédiatre de Passage: Une Tragédie Ordinaire
Le Néant, parfois, se déguise en salle d'hôpital. Non pas le Néant grandiloquent, mais celui, tout en vinyle beige et en odeurs de désinfectant, où le temps s'étire comme un chewing-gum mâché. Xavier, seize mois de chair à canon innocente, était là, grelottant d'un virus aussi anonyme qu'une facture de téléphone. Moi, j'étais là aussi, à flotter dans cette brume de fatigue parentale où l'inquiétude se normalise.
Et puis, le grain de sable. Non, le rocher, balancé par une pédiatre de passage. Une de celles qui "passait dans le coin", l'incarnation de l'absurdité du système. Elle ne travaillait même pas ici, cette madame, mais elle rôdait, visiblement à l'affût de la Vérité.
«C'est Gaétan Fillion qui suit la diplégie spastique de votre petit?»
La question me frappa comme une taloche. Pas l'agressivité d'une taloche, non. Plutôt la surprise molle d'une chaussette mouillée sur le visage. J'ai balbutié, l'air d'un manchot à qui on demande de réciter du Baudelaire: «Euh... mon fils n'a pas ça...» Elle m'a regardé, un œil qui disait «Pauvre folle», l'autre «Laissez-moi rire».
Elle voulait le checker un brin. Allez-y, le champ est libre, ma brave. De toute façon, dans cette chambre stérile, j'avais l'impression de n'être qu'un meuble, mon consentement n'était qu'une formalité pour la mécanique du diagnostic.
Cinq minutes. Cinq maudites minutes, et la voilà, ce sourire de vainqueur qui vous dit que votre vie, telle que vous la connaissiez, vient de prendre le bord. « C'est ça, j'en suis sûre. Diplégie spastique.»
Et là, c'est l'illumination. Non pas mystique, mais celle, crue, du punch d'une mauvaise blague. La raideur des petites jambes, leur position étrangement croches, ce refus obstiné de la marche à seize mois – toute cette chorégraphie du doute qui me rongeait. J'avais raison d'avoir le cœur qui brassait. J'avais eu l'intuition. Le parent, cet animal sentinelle qu'on traite souvent de paranoïaque, avait vu juste.
La neuropédiatre, réalisant mon air de vache qui regarde passer le train de la diplomatie médicale, a voulu me rassurer. Avec un sens de la formule qui ferait pâlir d'envie le plus grand cynique: «C'est frustre, mais le pire, vous savez, c'est qu'il va être crissement poche en vélo et que courir, il sera plus ou moins efficace, plus ou moins gracieux.»
Crissement poche en vélo. Le sort de mon fils réduit à une question de performance cycliste et de manque de grâce. J'ai failli rire. Ce soulagement grotesque dans la trivialité. Au moins, elle envisageait qu'il puisse marcher et courir, le petit. C'est déjà ça de gagné.
Pour débloquer la machine avant les fameux dix-huit mois, cette «âge limite pour qu'un bébé marche» (comme si la vie se souciait des manuels), elle nous a cassé un rendez-vous en physiatrie pour le lundi suivant. Le ton était donné. La suite? Physiothérapie. L'inévitable.
Écrire ce paragraphe, nom de Dieu, ça a été un mélange de catharsis et de masochisme. Une libération parce que l'Invisible est enfin nommé, un exercice pénible parce que ça nous force à rejouer le film de l'aveuglement. Je me suis trouvée conne, insouciante, de ne pas avoir poussé plus loin mon inquiétude. J'aurais dû. J'aurais pu. Mais à quoi bon se taper dessus? C'est la plus grande perte de temps au monde, l'auto-flagellation.
Le diagnostic est posé, l'équipe est mobilisée. C'est juste ça qu'il lui faut, la physio? No problémo. On va pédaler (même s'il est crissement poche) sur le chemin de la suite des choses. La vie est un spectacle, même dans les salles d'attente. Et le spectacle, il faut continuer à le jouer.


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