Pourquoi ce Blog ? Le Manifeste du Cycliste Poche

Le diagnostic, c'est une façon polie de dire: «Votre chemin vient de changer de carte. Et elle est pleine de nids-de-poule.» Apprendre que Xavier était atteint d'une IMC, c'était d'abord le vertige. Un de ces moments où l'on se sent tomber sans fin dans un puits d'interrogations qui sent le formol. Oui, j'ai pleuré. Pas des larmes de cinéma, juste la vérité brute qui sort par les yeux. C'est l'étape obligatoire avant la négociation. Mais on ne peut pas rester figé devant un enfant qui grandit. Après quelques semaines passées à digérer l'absurdité du Destin, on se fait à l'idée. La route sera longue, celle de la rééducation vers la marche. C'est le prix à payer. On nous a dit que sa diplégie spastique était «frustre», la forme la plus légère. La plus gentille des tragédies. Ça me fait rire jaune. Même la misère a ses catégories, n'est-ce pas? Alors, pourquoi ce blog? Parce que dans la pénombre de la forme frustre, on se sent souvent seul. On nous dit que «ce n'est pas si grave», mais ce n'est pas une réponse concrète pour un parent qui se demande si son enfant tiendra un jour sur un vélo sans avoir l'air d'un manchot pris dans la mélasse. Je veux rejoindre ceux qui ont aussi reçu cette étiquette légère, ceux qui n'osent pas trop se plaindre mais qui cherchent désespérément un mode d'emploi. Ce blog est un phare, un cri de ralliement, pour que nous puissions échanger nos trucs, nos victoires minuscules et nos moments de désespoir. Parce que parfois, il faut se parler franchement, sans le filtre de la compassion molle. On est dans la même galère, alors autant rire de nos misères et des vélos qu'on n'apprendra jamais à bien monter.

Le Bric-à-Brac de Xavier : Chroniques d'une Habileté Inutile



Nous avions diagnostiqué la diplégie spastique. Soit. Mais c'est une chose d'avoir un diagnostic qui parle de muscles récalcitrants; c'en est une autre de composer avec le chaos domestique engendré par un cerveau qui, lui, fonctionne à plein régime. Car Xavier, il faut le dire, est une bête de foire en matière de compétences accessoires.

Il boit. Il boit à tout. Gobelet, paille, même au verre (sans le lait, bien sûr, car le lait est pour les simples). Le biberon? Un échec cuisant. Une compétence qu'il a jugée indigne de son temps. C'est déjà ça de réglé.

Quant à la nourriture, c'est l'anarchie. Il se nourrit avec ses mains comme un homme des cavernes, et c'est très bien. Mais la cuillère... Ah, la cuillère. C'est là que l'IMC, ou peut-être juste la malchance, s'exprime. Il réussit, parfois, à atteindre sa cible avec quelques grains de riz ou un filet de yaourt. Mais la constatation est facile à faire: la grande majorité de la cargaison finit en enduit sur lui-même et en tapis de riz sur le plancher. Sa façon de dire: «La propreté, c'est une perte de temps.»

Et puis, il y a la démolition. Il est un petit génie de l'enlèvement: couche, bottes, bas. Tout ce qui entrave sa liberté. Il se met debout, se cramponnant à tout ce qui ne bouge pas (sofa, comptoir, nous-mêmes). 
Ce n'est jamais désintéressé. Il ne se tient pas juste debout pour le plaisir de la gravité; il est en mission.

Sa motricité fine, par contre, est un pied de nez à sa motricité globale. Il soulève des objets ridiculement lourds. Il pousse et tire des meubles - sa chaise berçante, notamment - pour pratiquer le glisse foufounes, ravageant au passage les planchers. (Pauvres planchers, victimes de l'ambition!) Il vide, remplit, visse, dévisse. Les bouchons de bouteilles d'eau, entre autres. Il visse tellement fort que parfois, dans un acte de vengeance puérile, il m'empêche de rouvrir la bouteille.

Les casse-têtes ? Facile. Les formes géométriques, il les met dans les bons orifices sans sourciller. Les mégablocs, il en empile trois. Et il excelle dans la démolition. Mais son chef-d'œuvre, sa signature d'artiste, c'est le bourrage de toilette au papier cul. Une preuve irréfutable de sa capacité à transformer un objet banal en outil de sabotage domestique.
Monsieur Patate? Monté correctement. Il a enfin compris que les bras n'allaient pas à la place des oreilles. Un progrès indéniable vers la normalité. Il tourne les pages de livres, fait semblant de lire l'histoire, un petit singe qui imite l'intellectuel.

Et sa capacité à nous faire suer! Il utilise correctement les objets de la vie courante. La brosse à cheveux, le téléphone, la manette de télé qu'il remet ON après que nous l'ayons mise OFF pour nous offrir un moment de silence. Le PC, la radio. Il est un petit maître des interrupteurs. Il fait suer LOL.

Il joue à «coucou», se déplaçant pour nous chercher en mode bizarre: sauts de lapin à quatre pattes, à genoux, ou sur le cul. Une gamme complète de déplacements non-conformes. Il joue à la dînette, donne à manger à son toutou Elmo (y’é tellement laid, ce Elmo... pas mon fils, j'insiste LOL).
Il aide à la maison. Il prend un linge pour laver le plancher. Il met ses mégablocs dans le sac. Et il jette à la poubelle tout ce qu’il n’aime pas. Une aide dont, très sincèrement, je me passerais.

Quand la musique joue, il se bouge la tête. C'est le mouvement le plus fluide qu'il possède. Faut dire qu'il tient ça de nous, son père et moi. On danse comme ça, la tête.

Et puis, la communication. Il pointe du doigt pour exiger. Il hoche la tête pour nous signaler qu'on est carrément dans le champ (le geste universel de la déception). Il sourit si on a capté. Et il gueule si on ne comprend pantoute. C'est l'expression la plus pure de l'exaspération humaine.

Il ramène Elmo ou Baby Koa sur demande. On s'arrange pour qu'il les cherche un peu. Ça nous donne un break LOL.

Enfin, il y a les compétences qui font moins rire. Le rejet de nourriture. Le refus catégorique de tout lait. Et les crises. La fameuse crise du bacon, celle où il se fâche quand on lui dit non. Je ne suis pas certaine que ça compte comme des habiletés. Mais c'est une forme de performance.
Malgré tout le chaos, il utilise habilement le vocabulaire minimaliste de la survie: «Oui», «Maman», «Papa», «Wow» et «bébé». Un langage simple, mais suffisant pour régner sur ce petit royaume désordonné.

Voilà donc le portrait de notre petit Xavier: un virtuose du dévissage de bouchons, un maître-artisan de la démolition de Monsieur Patate, et un terroriste du papier de toilette. Il est capable d'assimiler les formes géométriques, de nous remettre le PC en marche pour nous empêcher de travailler et de nous signifier par un hurlement précis que nous n'avons rien compris à sa requête.

Il possède une intelligence pratique féroce, une motricité fine presque insolente. Il est, en somme, un petit génie des tâches assises ou à genoux.
Et c'est là que l'absurdité frappe, violente. Ce petit cerveau qui tourne à mille tours minute, ces petites mains capables de tout démonter, sont associés à des jambes qui ne veulent pas entendre raison. Elles sont raides, elles sont croches, elles se contentent du glisse foufounes au lieu de l'élégance de la bipédie.

Tout ce talent, toute cette performance intellectuelle, ne vaut rien aux yeux du monde si l'enfant n'accomplit pas la chose la plus basique, la plus attendue: marcher. C'est le grand paradoxe de la diplégie frustre: un esprit vif emprisonné dans un corps qui refuse la danse. On ne s'inquiète pas du niveau de QI, mais du niveau du pas. C'est con, non? Mais c'est ça, le réel.
Alors on continuera d'applaudir les bouchons vissés fort, en attendant le jour où la physio aura réussi à transformer ces sauts de lapin en enjambées. En attendant, on gère la crise du bacon et on ramasse le papier cul. C'est ça, la vie.

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